Quand le silence devient un tort !
Nous sommes en janvier 1991,
alors que j'étais encore élève au cycle préparatoire, notre cher maître nous
avait préparé une leçon de lecture dont je me rappelle toujours les mots. La
fameuse leçon était intitulée:"le silence est synonyme de sagesse".
Elle contait l'histoire d'un oiseau qui tenait dans son bec un morceau de fromage
que lui enviait un jeune renard*. Celui-ci s'approcha de l'arbre ou perchait
l'oiseau et commença à lui faire des compliments. À force de vanter sa
voix et son talent, l'oiseau finit par céder et ouvrit alors son bec pour
montrer au jeune renard, qui ne cessait de le flatter, ce dont il était
capable. Ainsi, le morceau de fromage tomba dans la bouche du renard qui le dégusta
lentement et continua son chemin pour rencontrer d'autres victimes. Le maître épilogua:"vous
voyez, les enfants, comme il est important le silence. Il est toujours synonyme
de sagesse."
Ne voulant pas être un jour
comme ce jeune oiseau, le silence était devenu, depuis lors, l'un de mes
principes les plus fondamentaux. Mais en gravissant les échelons de la vie, m'étant
exposé plusieurs fois à l'injustice, cette image marquée par le premier maître
(le maître de classe) commença à se dissimuler sous l'emprise du deuxième maître
(le temps). Pourtant bien ancrée dans ma conscience, elle se détériorait de
plus en plus que j'avançais dans ce voyage sacré qu'on appelle la vie jusqu'au
moment où j'ai décidé de prendre la plume pour extérioriser ce qui trame dans
ma tête et mettre en évidence l'injustice qui entoure la vie de tout étudiant
arabisant, de l'élémentaire jusqu'après la fin de ses études. Une injustice encouragée
par le silence et la passiveté à tous les niveaux.
Commençons par le cycle élémentaire
où le jeune élève arabisant se trouve dans une école (Madrasa) très différente
de celle de ses amis qui ont opté pour « l'école française ». La
beauté de leurs uniformes, la grandeur de leurs bâtiments, le nombre constant
de leurs enseignants, le sérieux dans leur système éducatif, bref, toutes les
causes se sont réunis pour l'intimider, le minimiser dans son "école"
que composaient deux salles seulement, subdivisées
en ailes, chacune représentant une classe, du CI au CM2. Chaque groupe se
tenait en silence pendant que le Mu alim
(le maître) inculquait le savoir à l'aile ou à la salle suivante. Il Mémorisait
tous les programmes. Il n’y avait ni préparation de leçon, ni control, ni
inspection, ni surveillance, car le Mu
alim était lui même l'enseignant, le surveillant, le directeur et incarnait
lui seul tout le système étant le grand érudit qui connaissait tout.
Et de par cette doublure
flagrante, l'inégalité du système de partage commença à se faire sentir par le
jeune élève dont l'avenir ne semble pas inquiéter quiconque. Une injustice encouragée
par le silence des parents à cause de la petitesse de la somme mensuelle qu'ils
devaient au Mu alim ou plutôt
l'inexistence d'un autre choix ne voyant pas de l'école française un lieu adéquat
pour l'éducation et l'instruction qu'ils souhaitaient pour leurs enfants; mais favorisée par la négligence d'un gouvernement censé
préserver les intérêts futurs de ses enfants et leurs avenirs.
Ainsi d'année en année le
jeune arabisant déménage d'aile en aile dans la petite salle du Mu alim. Enfin,
ce dernier finit par juger qu'il était temps de couronner son travail. Alors,
il va à la recherche d'une candidature libre pour son élève à l'une des innombrables
écoles et institutions arabes où chacune fabrique ses propres diplômes et
organise ses propres examens. Le jeune élève finit par décrocher le certificat
de fin d'études élémentaires. Et à ce moment son père devient très perplexe ne
savant pas à quel institut inscrire son enfant pour la continuation de ses études
à cause de la pluralité des programmes et la multitude des écoles, chacune suivant
un courant idéologique religieux dicté par l'institution qui la finance. Mais
le père finit par trancher et le jeune élève continue son cursus scolaire et
décroche le brevet puis le baccalauréat. Et le voyage s'arrête n'ayant pas une
université qui pourrait l'accepter. Il endosse alors le prix de l'anarchie du système
dans lequel il évoluait depuis son enfance et sera obligé de payer des pots qu'il
n'a pas cassés. Il se demande avec amertume quels étaient les fruits de son
travail jusque là très bien fait s'il était obligé de s'arrêter; quelle était
l'utilité des diplômes qu'il a décrochés sinon la fierté qu'a ressentie son
père lors de leur obtention et la beauté qu'ils dégageaient en décorant, comme
des meubles, la grande salle de leur maison.
C’est un sentiment
d'injustice très difficile à définir ce que ressent ce jeune arabisant seul
devant cette situation amère sous le silence des parents, la négligence du
gouvernement et l'incapacité du système. Il vit alors des jours et des nuits
seul dans son angoisse et obligé d'enterrer lui même ses propres ambitions.
Mais cette fois-ci la
providence lui avait réservé une belle surprise. Il venait d'être sélectionné
parmi tant d'autres pour effectuer le voyage au pays des arabes, ces gens dont
la culture et la langue étaient tant adorées par lui. L'heure du départ sonne,
et il quitte son pays, ses amis, sa famille, dont il portait l'espoir, pour un
voyage à une terre qui lui réserve beaucoup de surprises. Il part plein d'espoir
et d'enthousiasme à la recherche d'une chance souriante sous un ciel plus
clément.
Il descend, enfin, sur le
sol étranger ainsi commence une nouvelle vie tourmentée par des difficultés,
des obstacles et plein de surprises:la non reconnaissance de ses diplômes déjà
obtenus lui valant plusieurs années de retard sinon plusieurs cycles,
l'inexistence des filières qu'il envisageait suivre étant obligé de se
contenter du choix déjà fait par l'institution qui lui a attribué une bourse,
la dureté de la vie dans une société et une culture très différentes de ce
qu'il imaginait, et enfin la non suffisance de ses moyens matériels pouvant lui
garantir une vie digne et confortable.
Et devant ces obstacles le
jeune étudiant s'était juré de relever le défi même s'il lui coûtait une faim
constante et une fatigue insupportable. Son temps sera donc consacré à ses cours réguliers à la fac, les
formations de métier et de langues dans les institutions privées et le travail
pour le gagne-pain. Et tout cela dans une société qui le comprenait à peine et
des fois avait du mal à l'accepter.
Les années filent lentement
et le jeune étudiant était obligé de nager contre courant pour finir ses études
et obtenir ses diplômes. Un moment de joie et de plénitude pour tout étudiant
de la planète mais pas pour l'étudiant arabisant qui sombre dans le stress en
s'y approchant. " Vaudrait mieux que le jour ne se lève pas s'il doit être
aussi noir que la nuit" se dit-il.
Mais malgré la crainte et
l'inquiétude, le jeune diplômé décide de rebrousser chemin laissant derrière
lui beaucoup de camarades moins braves ou plutôt plus réalistes, ne voulant pas
descendre sur un pays qui ne reconnaîtra ni leur mérite ni leurs capacités,
quand bien même qu’il s'agit de leur propre pays.
Il retrouve enfin sa patrie
qui l'avait tant manqué avec une valise garnie de diplômes et de certifications
censés lui offrir une vie de confort après tant d'année de souffrance. Mais la
chance semble ne pas vouloir lui sourire. Certes il est qualifié, mais il l'est en arabe et ne pourra donc pas
bénéficier de l’offre des employeurs ni de la confiance des gouvernants. Il a
donc effectué le tour du monde pour enfin aller nulle part. Son espoir et son
courage finissent par chuter laissant la place à une amertume et une colère
écrasante.
Mais où était donc le
gouvernement depuis qu'il à quitté son pays pour s'aventurer à
l'étranger ? Où était-il lorsqu'il souffrait dans son combat pour la
réussite, loin de ses parents et de ses amis ? Et qu'est ce qu'il lui
réserve maintenant qu'il lui revient pour le servir et participer à son
émergence ?
Où étaient les parents et
leur voix, la société, sa justice et ses valeurs républicaines tant vantées par
ses autorités ?
Il s'avéra alors que personne n'était inquiétée
par la situation que vit ce jeune garçon meurtri par un système qu'il n'a pas
choisi, marginalisé par une société qui lui a offert la vie et négligé par un
gouvernement censé le protéger et préserver ses intérêts.
Mais ce jeune garçon a fini
par grandir. Il décide alors d'ouvrir ses yeux et sa bouche pour demander la
justice et exiger ses droits, prêt à offrir son âme et sa vie pour l'égalité
des chances.
Aucune force, même s'il
s'agit de celle de la société ou celle gouvernante ne pourra retenir ce tsunami
arabisant qui vient remettre les pendules à l'heure et aider à la
réforme d'une société qui n'a pas su bénéficier de la diversité de ses
composantes et de leurs compétences. Enfin pour dire à celui qui veut
l'entendre: « le silence devient un tort quand il prend la place à la
protestation ».
Mamadou Bara SAMB
Fac de Commerce
Université Alazhar.